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Prenons au sérieux les Collectivités territoriales !

Dans la folle ambiance électorale qui prévaut ces jours-ci en Haïti, il s’avère plus que judicieux de jeter un coup de projecteur sur les Collectivités territoriales comportant plusieurs postes électifs à briguer. Malheureusement, la majorité de ces postes sont très souvent minimisés par les politiciens haïtiens. Cet état de fait est dû, semble-t-il, à une méconnaissance des vrais rôles des Collectivités territoriales. Cette dure vérité pourrait être même généralisée à tous les postes électifs au regard de l’expérience des crises institutionnelles connues dans ce pays durant les vingt-cinq (25) dernières années.

Selon la Constitution de 1987 amendée de la République d’Haïti, les Collectivités territoriales sont des institutions politico-administratives territoriales dans l’État d’Haïti. Ce sont des divisions territoriales. Elles sont en fait caractérisées principalement par une dénomination, une population, une superficie bien délimitée du territoire national, un conseil et une assemblée d’élus. Selon l’article 61 de cette Constitution, les Collectivités territoriales sont : la section communale, la commune et le département. Depuis la mise en vigueur de la Constitution de 1987, ces entités territoriales ne sont jamais gérées comme il est stipulé clairement dans les articles 61 à 84. En effet, il est prévu que chacune de ces entités soit administrée par un conseil de trois (3) membres élus pour quatre (4) ans assistés d’une assemblée (assemblée de la section communale dans le cas de la section communale, assemblée communale dans le cas de la commune et assemblée départementale dans le cas du département). Cela est présentement respecté seulement au niveau des sections communales, puisqu’au niveau de celle-ci, le conseil et l’assemblée sont élus au suffrage universel. Voilà un vide institutionnel sur lequel ont gardé le silence tous les gouvernements passés depuis 1987! C’est donc une preuve que les dirigeants politiques Haitiens des vingt-cinq (25) dernières années n’ont jamais pris au sérieux les Collectivités territoriales. Ce manque d’importance à l’égard de ces entités n’est pas sans conséquence sur le développement du pays en général.

Une première conséquence qu’il est important de mentionner est une absence très remarquée de l’État au niveau local dans les sections communales et dans certaines communes rurales du pays. Le conseil d’administration de la section communale (CASEC) – à part la rémunération mensuelle des 3 élus tournant autour de 6 200 à 7 500 gourdes par mois et par membre – ne dispose qu’environ 4 000 gourdes de frais de fonctionnement mensuel. Ils n’ont pas à leur disposition un budget d’investissement. En principe, le premier membre a une rémunération plus élevée que les autres. Ces membres de CASEC sont assistés par des gens composant l’assemblée de la section communale (ASEC) qui ne reçoivent aucune rémunération mais des frais autour de 5 000 gourdes par membre par rencontre trimestrielle. C’est une sorte d’incitation à encourager la tenue d’une rencontre trimestrielle du CASEC avec l’assemblée. Dans certaines sections communales, le CASEC n’a même pas un bureau, voire un personnel qui pourrait assurer le suivi d’un dossier ou garder la mémoire institutionnelle lors du renouvellement des membres du Conseil à travers des élections locales tous les quatre (4) ans.

La situation décrite pour les CASEC n’est pas tout à fait différente au niveau des mairies, à part bien entendu celles de certaines grandes villes comme Delmas, Pétion-Ville ou quelques chefs-lieux de département disposant plus ou moins d’un personnel permanent. Mais la majorité des communes des zones de provinces ont plus souvent un personnel directement lié au cartel de maires en place. Chaque conseil municipal arrive bien souvent avec son personnel. Il est donc évident que de telles pratiques ne favorisent pas du tout un fonctionnement institutionnel normal et adéquat. Dans ces conditions, à chaque renouvellement de conseil municipal, l’État local en sort diminué et affaibli.

Une deuxième conséquence est l’absence d’une vision de développement communal, voire départemental au niveau de l’État. Elles ne sont pas nombreuses les communes ayant un plan de déveppement auquel s’attachent les autorités locales. Les rares plans de développement existants ont été conçus par des organismes non gouvernementaux qui sont dans la majorité des cas classés dans les tiroirs puisqu’il n’y a aucune commune gérée par un conseil appuyé par une assemblée qui puisse les récupérer et les appliquer dans une politique communale globale.

Au niveau départemental, les gouvernements passés, depuis 1987, arrivent seulement à nommer un délégué à chaque fois qui est une sorte de représentant du président.Comme il n’y a jamais eu d’élections indirectes pour constituer l’assemblée municipale qui devrait assister le conseil municipal, de même l’assemblée et le conseil départemental n’ont jamais pu être montés. En fait, l’assemblée municipale devrait sortir des assemblées des différentes sections communales et l’assemblée départementale des différentes assemblées communales.

Étant donné qu’on n’est pas encore arrivé au processus décrit ci-dessus depuis 1987, le pays a fonctionné dans un vide institutionnel qui a énormément affaibli l’appareil étatique. L’absence d’une politique départementale bloque toute réflexion de mutualisation des moyens entre les communes pour pouvoir mieux servir les populations. En ce sens, la possibilité pour qu’une grande commune appuie une autre plus petite dans le même département pour le maintien de certains services de base n’est pas envisageable dans le schéma appliqué actuellement. Par exemple le service d’eau potable fait face à la problématique de durabilité surtout au niveau des petites communes rurales où les usagers ne cotisent pas assez pour entretenir les systèmes d’adduction d’eau potable. C’est un secteur dans lequel la coopération internationale a injecté pas mal de fonds dans certains départements du pays durant les vingt dernières années mais les résultats sont très peu durables à cause du manque d’appropriation du service par les autorités locales et les communautés.

Ces dernières conséquences identifiées ci-haut causées par un manque d’importance pour les collectivités territoriales ont conduit aujourd’hui à une paupérisation extrème des populations rurales. Aujourd’hui, on estime à 2.5 millions la quantité de gens extrêmement pauvres en Haïti, c’est-à-dire des personnes vivant avec moins de 1,25 dollar US par jour et ne parvenant pas à subvenir à leurs besoins alimentaires (Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES), 2015). Plus de 80% de ces gens résident dans les zones rurales. Face à une telle situation, les ruraux ont répondu par la migration à l’interne beaucoup plus vers Port-au-Prince et à l’externe vers la République dominicaine, Turk and Caicos, Bahamas et, actuellement de façon massive, vers le Brésil. D’où une grande carence des ressources humaines au niveau des zones rurales déjà dépourvues d’infrastructures scolaires de qualité!

Les partis politiques, la société civile en général, rentrent de manière inconsciente ou non dans cette logique de non-valorisation des collectivités territoriales en laissant aux gens de peu de compétences les postes électifs liés à ces entités. C’est en ce sens qu’il n’est pas étonnant de trouver des membres de CASEC qui savent à peine lire et des maires qui ne s’y connaissent pas du tout en développement. Ce sont les députés, dans certains cas, qui se comportent comme des agents de développement laissant ainsi leur vrai rôle de législateurs. Bien souvent, si le député n’est pas issu de la même chapelle politique que les membres du conseil municipal en question, cela peut créer de grands conflits entre ces élus en recherche de visibilité pour assurer leur réélection.

Ces lignes invitent à une mobilisation de la société et à un plaidoyer des groupes organisés pour un vrai renforcement des pouvoirs locaux. Ce renforcement devra être matérialisé par des actions claires et concrètes par les prochains gouvernements à côté de l’application de la Constitution en ce qui a trait à la mise en place complète des collectivités territoriales. Il y a pas mal d’idées et de modèle de renforcement d’autorités locales à travers le monde. Cet article n’a pas pour objectif de les mentionner mais plutôt d’insister sur une prise au sérieux de ces entités territoriales dans les prochaines politiques publiques. Une organisation minimale de ces dernières, c’est-à-dire une mise en place de ressources humaines compétentes et indépendantes des nouveaux élus aboutira à un fonctionnement normal des collectivités territoriales.

Si on reste dans ce schéma actuel de gouvernement, le ministère de l’Intérieur et des collectivités territoriales (MICT) doit faire montre d’un certain leadership pour conduire cette politique de renforcement des pouvoirs locaux. Il doit se montrer proactif en faisant répéter certaines approches à succès d’une commune à une autre. Par exemple, plus d’un reconnaît que la municipalité de Delmas a eu des résultats intéressants dans sa gestion durant ces dernières années. Il y a des statistiques d’un rapport du MICT/IHSI (Institut haïtien de statistique et d’informatique) sur les recettes propres des communes qui le montrent bien. En effet, Delmas vient en tête parmi les 140 communes en termes de rentrées d’argent. De 2010 à 2013, les recettes propres de Delmas sont passés d’environ 4 313 000 USD à près de 7 778 000 USD. Tandis qu’il y a des communes qui ne sont pas parvenues sur la même période à obtenir 500 USD de recettes propres selon ce même rapport. En ce sens, des visites d’échanges au niveau de la mairie de Delmas par les autres communes pourraient êtres organisées pour que ces dernières puissent apprendre d’une expérience à succès.

En fin de compte, dans ce contexte de débat électoral où les candidats à tous les niveaux font de multiples promesses à la population, cet article veut tirer la sonnette d’alarme pour une vraie prise en charge des collectivités territoriales. Elles peuvent être considérées comme la porte d’entrée au développement du pays. Il importe donc de les valoriser en les rendant autonomes et efficaces dans leur gestion. Comme elles représentent le pouvoir le plus proche des populations, alors les renforcer implique tout simplement une amélioration de la qualité des services à fournir aux communautés rurales et urbaines du pays.

 

Par Amisial Ledix [Lenouvelliste]